J’ai choisi de me perdre à Kyoto.

J’ai choisi de me perdre à Kyoto pour m’éloigner de toi, pour que rien ici ne me rappelle à toi. Je suis en errance au milieu des palais et des sanctuaires de cette ancienne ville impériale qui autrefois portait le nom de « capitale de la paix et de la tranquillité », tout un programme !

J’ai choisi comme destination Kyoto, car j’ai lu que les temples sont des havres de quiétude et que la délicatesse des jardins apaisent les peines. La mienne ne se tarit pas. J’envie les carpes-koï des bassins, je voudrais me fondre dans leur sillage et me dépouiller de toute cette douleur qui est devenue une seconde peau ; j’erre de temples en temples et je me laisse surprendre par la douceur de la mousse et des feuilles d’érable.

J’ai choisi Kyoto pour m’enfuir le plus loin possible, dans un endroit où tu n’étais jamais allée, dans des rues que tu n’avais jamais foulées, mais que, j’en suis sûr, tu aurais aimées ; je suffoque et je ne sais pas si c’est à cause des quarante degrés à l’ombre ou à cause de la tristesse qui m’étreint par vagues.

Très peu de personnes ici parlent anglais, les pancartes sont incompréhensibles et j’ai du mal à me faire comprendre, la barrière de la langue est un formidable prétexte, je m’égare, je vagabonde, je refais le même chemin sans même m’en rendre compte, je suis paumé avec ma solitude et mon appareil photo auquel je m’accroche ; j’occupe mes mains pour ne pas chercher les tiennes et je sanglote derrière l’objectif, les images seront les témoins de ton absence, à moins que tu ne t’y glisses sous la forme d’un yokai. J’ai pris pour habitude de brûler des bâtons d’encens, cela devient une superstition. Avant-hier, une vieille femme est venue à côté de moi, je pleurais, elle a glissé un papier dans ma main, je n’ai bien sûr pas compris les kanjis inscrits dessus, elle m’a invité à le suspendre auprès d’un bouddha, là où d’autres étaient déjà déposés, j’ose croire que cette prière montera jusqu’à toi.

Le soir, avant de boire une bière et de déguster de succulents onigiri, malgré ma tristesse je n’ai pas perdu l’appétit, je passe une partie de ma soirée au onsen ; depuis que je suis arrivé il n’y qu’un soir où je n’y suis pas allé, l’alternance d’eau chaude et d’eau froide me fait un bien fou, cela me lave de tout et surtout cela me permet de dormir. Hier, cependant, je n’ai pas trouvé le sommeil : on était le 22, cela fait deux mois que tu n’es plus là. J’ai marché longuement dans les ruelles de la vieille ville, et au détour d’une rue, j’ai vu une gheïsha ! je l’ai prise en photo, son teint blanc se détache sous les lanternes des maisons, je suis assez content de cette prise, cela m’a fait penser au livre que tu avais emporté en Malaisie et que tu ne parvenais pas à terminer. Demain je vais aller me balader à Nara, flâner de temples en temples et rencontrer les cerfs sacrés… qui sait, peut-être me parleront ils de toi ?

J’ai finalement décidé de finir mon voyage en allant au mont Fuji. On en avait parlé ensemble, j’honorerai d’une certaine manière cette promesse. Je te raconterai, évidemment, même si je sais que ces lettres ne t’atteindront pas, qu’elle resteront lettres mortes, comme toi, mais c’est le seul remède que j’ai trouvé pour ne pas sombrer totalement.

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